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Dossier : Euro 2000

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Tout le monde a encore en tête ces magnifiques images de jeux d’eau entre les CRS belges et les méchants hooligans anglais. Oh oui je me souviens de cette jeune demoiselle qui s’est fait projeter contre un lampadaire par la puissance du jet d’eau. Mais que voulez-vous, dans une guerre il y a toujours des innocents qui trinquent et puis les gentils policiers se dévouaient corps et âmes à sauver la veuve et l’orphelin (des orphelins ils vont en faire beaucoup s’ils continuent à jeter leurs mères contre des lampadaires !). Encenser les forces de l’ordre, déprécier au maximum les supporters, inventer de toute pièce du sensationnel : voilà ce qu’on a encore eu le droit durant l’Euro 2000 de la part des médias qui malheureusement ont prouvé une fois de plus leur manque évident d’objectivité, de logique et de respect. Je vous propose donc de plonger dans le monde imaginaire des journaux anglais. Pourquoi anglais vous demandez-vous avec la curiosité d’un enfant en âge de découvrir le monde et ses mystères ? Parce qu’ils sont les plus féroces, parce que ce sont les supporters anglais qui en ont le plus pris sur la gueule et parce qu’au moment de l’Euro je ne pouvais que me procurer des journaux britanniques !

Au lendemain de « Angleterre / Allemagne » les journaux anglais consacrent la moitié de leur feuille de chou aux violences de la veille, la victoire sportive passant au second plan alors qu’ils sont les premiers à dire que le plus important c’est le jeu proprement dit. La raison est pourtant simple. Réfléchissez un peu (pour les Lorrains qui seraient amenés à lire cet article, arrêtez tout de suite pour éviter le claquage), que recherche la presse ? La vérité ? Pas le temps et puis ce serait vraiment une première. Elle recherche le sensationnel. Vous savez, ces événements exceptionnels qui font vendre, vendre et encore vendre. Car tout est une question d’argent, même pour ces donneurs de leçon. N’avez-vous donc jamais remarqué sur les images des affrontements (et ceci dit en passant toujours les mêmes alors que d’après eux c’était généralisé !) tous les appareils photos et les caméras ? On pouvait même se demander s’ils n’étaient pas plus nombreux que les supporters. Mais ils n’étaient pas là par hasard ou juste pour interviewer des gens qui vivent leur passion (pas bien intéressant et peu lucratif). Ils étaient en fait à l’affût de la moindre escarmouche pour pouvoir l’interpréter à leur guise et comme cela les arrangeait. Un supporter rasé chante, bouge les bras et CLIC la photo est prise et on peut alors marquer ce qu’on veut, le plus intéressant étant bien sur la version la plus immorale du genre : « un skinhead anglais faisant le salut nazi et insultant les Allemands ». Facile et efficace. Je me souviens par exemple d’une photo avec 2 flics habillés en civil en train d’arrêter un agitateur anglais. On pouvait ainsi lire des versions différentes selon que vous lisiez « The Sun » ou « The Daily Mirror ». Une de ces versions disait par exemple : « 2 hooligans anglais en train de brutaliser un allemand ». Très fort, bravo !

Mais ces reporters ne sont pas à leur premier coup d’essai. Souvenez-vous de ces photos à Marseille lors de la Coupe du Monde 98 de supporters anglais lançant des projectiles et rapidement appelés « hooligans ». Quand on fait plus de 1500km pour soutenir son équipe, qu’on est sans cesse contrôlé par les flics, qu’on nous demande sans cesse si on est venu pour casser, qu’on nous fait comprendre qu’on est pas les bienvenus et enfin qu’on se fait canarder sans aucune réaction des policiers qui préfèrent s’occuper de vous, ne viendrait-il pas à l’idée de n’importe quel supporter de se défendre et d’agir ainsi ? Il est facile de répondre non quand on n’est pas dans les conditions et le contexte de tels événements. Par ailleurs, si une photo d’un supporter lançant un projectile paraît dans un journal, le gouvernement britannique autorise l’employeur de cette personne à le virer ; ce qui nous laisse facilement imaginer les conséquences financières (entre autres) pour lui et sa famille alors qu’il se sentait en danger. Mais bon, ce n’est pas ça qui empêchera un journaliste de dormir.

Et puis n’oublions pas qu’ils savent tout sur tout, ces gens à la science infuse. Quand ils traitent des hools de « soi-disant supporters », ils savent de quoi ils parlent car eux ce sont des vrais. On leur paye l’avion, l’hôtel, la bouffe, un bon petit salaire à la fin du mois pour assister de temps en temps à des matches de football. Ils ont leur place réservée et n’iront jamais se mélanger à la populace, ils sont quand même au dessus de ça et puis ça ne vaut pas la peine de toute façon. Pourtant, ces partisans du moindre effort devraient savoir que la majorité des hools étaient au départ de simples supporters avec tous les sacrifices que cela implique. De plus, il ne faudrait pas oublier qu’ils font partie de la culture des tribunes quoi qu’on en dise mais ils expriment simplement leur passion à un autre degré et d’une autre manière (acceptable ou pas, c’est un autre débat) dont les bases sont la construction d’une réputation par le biais d’actes violents. Dans tous les cas ils connaissent le milieu du supporterisme bien mieux que n’importe quel journaliste. Je ne cherche pas à défendre la violence ou les hooligans mais les entendre se faire traiter de « soi-disant » supporter par des gens qui n’ont aucune idée de ce qu’être supporter implique et symbolise me révolte.

Mais durant cet Euro 2000 les médias ne sont pas les seuls à avoir eu une réaction disproportionnée. Les forces de l’ « ordre » ont à mon avis pas mal à se reprocher. Le dispositif déployé pour encadrer les Anglais était tout simplement phénoménale au point d’être presque risible. Et c’est un secret de polichinelle que de dire que un bon nombre d’entre eux éprouvent un plaisir certain à montrer leur supériorité et à abuser de leur soi-disant pouvoir. Tous ceux qui se déplacent régulièrement pour suivre leur équipe savent de quoi je parle. Si en plus les Anglais sentent qu’ils sont les seuls à bénéficier de ce traitement, forcément ça rend nerveux. Ajouter à cela un peu beaucoup de bières (elle est 2X voire 3X moins chère en Belgique qu’au Royaume Uni), la passion et l’angoisse due à l’importance du match et bien ça fait un beau cocktail explosif près à s’allumer à la première provocation adverse. Et c’est justement grâce à ce climat instauré par la police que les hools, les vrais, ont pu manipuler les foules. En effet, quand on se sent attaqués on ressent le besoin naturel de se regrouper sous une même bannière et de défendre ses couleurs ou tout simplement sa peau. Je ne dis pas que les Anglais sont des tendres et exempts de tout reproche, loin de là, mais les conditions étaient réunies pour que ça éclate.

La police a reconnu de nombreux leaders de célèbres groupes de hools anglais (de West Ham, Middlesborough, Chelsea, Liverpool, Man U, Man City…) mais très peu ont été arrêtés. Étonnant ? non, pas tant que ça. Les croyez-vous assez stupides pour aller en première ligne devant journalistes et policiers alors qu’ils sont connus et fichés ? Les médias ont été plutôt désemparés pour expliquer pourquoi parmi les centaines d’anglais arrêtés ne figuraient qu’une extrême minorité d’individus dangereux connus. Ils se sont alors mis à inventer un nouveau phénomène : « le nouveau hooliganisme ». Pathétique. Ils ne se sont pas rendu compte qu’en fait la plupart des supporters ont été pris dans un engrenage et ont simplement suivi la masse dans un contexte propice à des débordements. Je ne prétends pas que si les policiers avaient été sympas il ne se serait rien passé, c’était inévitable. Cependant, les véritables instigateurs des violences auraient trouvé beaucoup moins de soutien populaire parmi les Anglais présents.

Toujours dans le cadre des comportements policiers absurdes, on peut citer l’utilisation des camions à eau (réaction totalement disproportionnée qui a, en plus, blessé bon nombre d’innocents) et surtout la politique qui consistait à arrêter tout ce qui portait un maillot de l’Angleterre. Mais vous comprenez, pour les statistiques ça fait quand même mieux de pouvoir dire qu’on a arrêté 400 personnes au lieu de 40. Ca donne l’illusion d’une riposte efficace. Il faudra simplement m’expliquer comment on peut être efficace quand on arrête le gars le plus proche. De plus, tout le monde se souvient des scènes de siège dans les bars. Il suffisait qu’un hools se réfugie dans un café pour que les CRS tirent de la lacrymo et arrêtent toutes les personnes qui en sortent, barman compris. Mais bon, il faut bien donner des images aux TV de ce qu’est le « zéro de tolérance ». En plus, les journalistes aiment tellement ça quand on peut voir le maximum d’hommes en uniforme : ça permet d’amplifier les incidents plus facilement. Par contre pour un match à risque entre la Turquie et la Belgique pour une place en ¼ de finale de Coupe d’Europe, il n’y a pratiquement aucune caméra, quasiment aucun dispositif policier. Bilan : de très violents incidents après le match qui sont passés inaperçus. J’ose à peine imaginer la réaction des médias si des anglais avaient été impliqués !

Je tiens à répéter que je ne cherche en aucun cas à excuser les actes violents et les gestes déplacés de certains supporters durant l’Euro 2000, ni à dire que la police ne fait jamais son boulot et que les journalistes sont tous des incapables (quoique…). Cependant, si chacun savait de quoi il est question exactement, si chacun prenait le temps et faisait les efforts nécessaires pour mieux comprendre les supporters et les distinguait des fauteurs de troubles, alors peut-être y’auraient-ils des réactions plus sensées et plus appropriées. Malheureusement, il existe un énorme obstacle à tout ceci : l’argent. En effet, les journalistes recherchent le sensationnel qui fait vendre et les autorités britanniques ont tout intérêt à ne pas tout révéler sur les incidents s’ils veulent pouvoir organiser dans 6 ans la Coupe du Monde (NDC : raté ! La Coupe du Monde aura lieu chez les hooligans allemands) : les hooligans font peur aux investisseurs. Quant aux autorités belges et hollandaises, elles préfèrent mettre tout sur le dos des supporters, c’est quand même plus facile et ça permet de masquer les erreurs commises.

Je terminerai enfin par souligner le fait que tout le monde s’est plaint du comportement des hooligans mais que personne ne s’est indignés de cette autre sorte de hooligans : ceux qui ne montrent aucun respect pour le football et ses amoureux en favorisant l’exploitation commerciale de notre passion et en éloignant le peuple de son sport préféré et de tout ce qu’il représente pour nous. Mais qui oserait montrer autant d’ardeur à dénoncer cela qu’à dénoncer la violence ? Comme d’habitude, personne. Normal, le silence est d’or.
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