Voici la critique de la bibliographie utilisée par notre photographe pour la documentation de son mémoire dans le cadre de ses études (où du moins ce qu’il essaye de faire croire à tout le monde).
Génération supporter (« Génération supporter – enquête sur les ultras du football », éditions Robert Laffont, 1990) du journaliste Philippe Broussard, a longtemps été considéré comme la bible du supporter par bon nombre d’entre eux. En effet, paru en 1990, cet ouvrage, fruit d’une étude de 5 ans à travers l’Europe et ses différents types de supporterisme, est venu nuancer l’image que les supporters véhiculaient depuis le drame du Heysel. « Le but n’est pourtant pas de faire l’apologie de la violence, ni de donner la parole à certains extrémistes pour le simple plaisir de choquer. Cette enquête décrit plutôt la réalité du football actuel , raconte de l’intérieur un monde que ni les dirigeants ni les joueurs ne cherchent à comprendre. Un groupe de supporters est toujours une micro-société, avec sa hiérarchie, ses règles, ses peines et ses joies, sa violence aussi, parfois... ».
L’ouvrage est très intéressant en ce qu’il essaye de comprendre la violence de l’intérieur, des tribunes, mais en ce qui concerne la situation française en particulier, il ne correspond plus à la réalité. En effet, les tribunes ont beaucoup évolué depuis 1990, le modèle ultra s’étant notamment répandu dans presque tous les stades (rares étaient les groupes ultras avant le début des années 1990). C’est un ouvrage de référence, mais pour les années 1990 principalement et pour la situation à l’étranger (l’Italie notamment, où les groupes ultras sont apparus dès la fin des années 1960 et se sont beaucoup développés)... C’est un travail instructif qui permet de s’imprégner de « l’esprit » d’une tribune, des motivations des fans, de l’organisation des groupes, etc, mais il ne rend plus compte de la réalité, notamment parce que la sécurité a beaucoup évolué, avec les nouveaux stades, les stadiers, la vidéosurveillance, l’adoption de lois répressives...
Cette approche peut-être complétée par La société du samedi soir : supporters, ultras et hooligans – étude comparée de la Grande-Bretagne et de la France (« La société du samedi soir : supporters, ultras et hooligans – étude comparée de la Grande-Bretagne et de la France, Etudes et Recherches IHESI,Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, juin 1993) du sociologue Patrick Mignon, travail très complet dont on ne s’étonne guère qu’il y soit souvent fait référence. L’auteur ne se contente pas de dénoncer les phénomènes de violence, il essaye de les comprendre, de les expliquer en les situant dans une histoire, un contexte, des relations, en les replaçant dans une véritable «culture ». On notera notamment son intéressant concept de « stratégies de visibilité » comme pouvant expliquer les notions de territoire, les spectacles, la politique, les rivalités, et l’idée que les supporters revendiquent un rôle d'acteurs, ils participent à une et à leur mise en scène. Il relève que « la violence participe aussi d’une structuration interne du monde des supporters ». Toutefois, on peut regretter que, contrairement à ce qui était annoncé, son travail soit très axé sur les hooligans, et moins sur les ultras eux-mêmes. On peut regretter cet amalgame, même s’il est vrai qu’il est souvent très délicat de distinguer les différents comportements, et cela d’autant plus que les clubs du Havre et du Paris Saint Germain, cadres de son analyse, n’étaient peut-être pas les plus appropriés pour s’attacher au monde ultra en 1993 (pas ou peu de vrais groupes à vocation ultra à l’époque). Malgré cela, on peut souligner la justesse de l’analyse...
Cette analyse des supporters va être un peu diluée dans l’ouvrage suivant, qui lui va plutôt insister sur les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre le hooliganisme. Violence et football : l’eurohooliganisme (« Violence et football : l’eurohooliganisme », Jean Nicolaï et Madjid Allali, éditions Autres Temps, 1998) est un ouvrage intéressant en ce qu’il essaye de mettre en lumière les particularismes de chaque pays en matière de supporters et de violence, et il est vrai que les différences sont très importantes, mais, outre que les auteurs n’aient pas réellement cherché à comprendre le phénomène, on ne peut s’empêcher de sourire à la lecture des solutions proposées pour résoudre les problèmes de violence. Cela va notamment d’une prise en charge dès la... maternelle (ex : « accompagnement de l’enfant à l’éveil », « développement du goût de la pratique et non pas du luxe et d’une perspective matérialiste ») à l’incarcération des fauteurs de trouble, en passant par la promotion du fair-play et la modification des règles du jeu (« mettre en place l’expulsion temporaire et sanctionner l’anti-jeu »), et la liste est loin d’être exhaustive ! Tout cela peut paraître très confus... La partie sur la situation en France est d’ailleurs plus qu’éloquente. A propos des ultras notamment, les auteurs créent l’amalgame avec les skinheads, et affirment qu’on « ne pas peut parler à proprement dit d’un réseau structuré et organisé », et sont incapables d’identifier le mouvement supporter en France, comme l’attestent leurs remarques sur la situation dans quelques villes (mêmes les noms des groupes de supporters sont erronés). Sachant qu’il faut justement partir d’une bonne connaissance du milieu supporter pour comprendre les différents comportements qui s’y produisent, on a du mal à saisir comment les auteurs ont pu se lancer dans une telle analyse...
Heureusement, le sociologue Patrick Mignon a poursuivi et approfondi son analyse de 1993, et La passion du football (« La passion du football », Editions Odile Jacob, 1998) semble être la meilleure analyse à ce jour, en ce qu’elle pertinente tout en s’inscrivant dans un cadre très large, de l’aspect financier du football moderne à l’étude des supporters, du terrain aux représentations auxquelles renvoie le football. « La présence du football dans les différentes sociétés renvoie aux modes de construction des identités collectives et individuelles », c’est « un problème social, c’est-à-dire un phénomène dont certaines manifestations, voire l’existence même pour certains, apparaissent comme des révélateurs de la nature et de l’état du lien social ». En effet, « il est clair que le football est loin d’être un plaisir innocent. Il y est bien question de lutte entre des visions du monde symbolisées par des équipes et leurs styles de jeu, et cet affrontement a lieu sur le terrain, mais aussi, au moins symboliquement, entre spectateurs puisque les équipes sont perçues comme le produit des qualités de la collectivité. A ce titre, la football a la capacité de réactiver ou de rendre visibles des appartenances et des revendications d’appartenance ». Opposant spectateurs et supporters, Patrick Mignon réussit à opérer une distinction entre divers types de supporterisme, ce qui lui permet de mettre en lumière l’autonomisation d’un certain supporterisme, avec son organisation et ses compétitions propres, parallèles à la compétition sportive. L’analyse est très vaste, des ultras aux hooligans, des classes sociales, de la politique à la médiatisation, les diverses motivations étant bien soulignées. Cet ouvrage aide beaucoup à la compréhension du milieu des supporters... |